Droit de recours des organisations - aperçu juin 2004

 

L’histoire des débats politiques relatifs au droit de recours des organisations est sans fin. Depuis 1990 pas moins de 14 initiatives parlementaires visant à supprimer ou réduire le droit de recours des organisations ont été déposées. En voici un aperçu.

Lors de sa session de décembre 2003, le Conseil national refusait par 96 voix contre 80 une initiative de Jakob Freund; il suivait ainsi la proposition de la commission des affaires juridiques. Le Conseiller national appenzellois se basait sur l’affaire de Michael Schumacher à Wolfhaden AR pour demander la suppression du droit de recours des organisations pour « éviter les abus ». Ceci malgré le fait que le projet du célèbre coureur automobile d’une surface de 2200 m2 était situé hors zone à bâtir dans un site paysager protégé cantonal qui, selon la législation, doit être protégé de toutes nouvelles constructions. La FP a fait opposition. Le projet a été retiré suite à la décision négative de l’office fédéral du développement territorial (ODT). En son temps, l’initiative parlementaire Hofmann qui demandait une « précision » et une « simplification » du droit de recours des organisations et des études de l’impact sur l’environnement donna lieu à d’âpres discussions. Les arguments développés par l’auteur ne laissaient cependant planer aucun doute : l’auteur remettait tout simplement en question le droit de recours. Ainsi « les constructions conformes à l'affectation de la zone qui sont situées dans une zone à bâtir en bonne et due forme ne devraient être soumises à l'Etude d'Impact sur l'Environnement EIE que dans des cas exceptionnels de grande importance. » En d’autres termes, les plans d’utilisation, les procédures d’autorisation et les études de l’impact sur l’environnement seraient réduits à une simple formalité de la police des constructions. Malgré le manque d’arguments en sa faveur, l’initiative a été prise en considération en juin 2003 par le Conseil des Etats et a été transmise pour étude à la commission des affaires juridiques. La récente proposition du Conseil national Schibli demande également une suppression pure et simple du droit de recours des organisations. Les personnes qui veulent réduire voire supprimer le droit de recours des organisations seront responsables d’un affaiblissement de la mise en oeuvre de la législation sur l’environnement. Dans le nouveau livre spécialisé sur le droit environnemental (Heribert Rausch, Arnold Marti, Alain Griffel, 2004. "Umweltrecht", Schulthess Verlag Zürich), le droit de recours des organisations est considéré comme un instrument central de l’application de la législation sur l’environnement (au même titre que l’EIE). Les expériences relatives au droit de recours des organisations vécues au cours de ces 37 années d’existence sont globalement positives. Au fil des ans, les organisations ont professionnalisé leurs activités dans ce domaine. Les questions d’ordre juridique ne sont plus uniquement traitées par des avocats et des experts spécialisés ; les représentants des organisations sont aujourd’hui également en mesure de se positionner et d’agir de manière crédible lorsque des dossiers politiques explosifs sont à l’ordre jour. Parallèlement, la qualité des recherches en matière de construction et des décisions prises en vertu de l’effet indirect du droit de recours des organisations s’est améliorée. Au niveau international, la Suisse profite d’une renommée exceptionnelle non seulement en raison de sa loi sur l’environnement mais également en raison de sa mise en œuvre crédible, en faveur de laquelle les autorités font le plus souvent bien leur travail mais pour laquelle les organisations participent également de manière importante. On peut cependant constater, statistiques à l’appui, que de nombreuses décisions des autorités ne sont pas conformes à un examen juridique. Si le droit de recours des organisations n’existait pas, de nombreux lieux en Suisse auraient sans conteste un autre visage. De nombreux projets qui ont été combattu par les organisations nous choqueraient aujourd’hui : autoroute à ciel ouvert dans la zone alluviale Rhäzünser Rheinauen (GR), barrage au pied de glaciers, restaurant d’altitude en verre sur le Jungfraujoch, parkings, ports et places publiques sur les magnifiques rives du lac à Morcote (TI), antennes pour la téléphonie mobile dans les tourbières du Gantrisch (BE) etc. En sus de ses succès spectaculaires de nombreux petits projets ont été évités dont les conséquences n’auraient pas été négligeables pour l’environnement, la nature et le paysage : transformations d’étables isolées en maisons de vacances, changements isolés de zones pour des constructions privées, routes forestières de plusieurs kilomètres dans des forêts sauvages, destruction de murs en pierres sèches et de vieux chemins, pistes de ski surdimensionnées, télésièges dans des régions intactes et bien d’autres encore. Mais pourquoi tant de critiques et quelle est leur nature ? En voici quelques unes : les organisations de protection de l’environnement pervertissent le droit de recours et bloquent des projets de plusieurs milliards ; les organisations font du chantage et obtiennent de l’argent pour retirer leur recours ; le devoir de surveillance des cantons est suffisant, les organisations n’ont pas à s’en mêler. Aujourd’hui, le parlement est en droit, comme il le fait régulièrement pour toute autre législation, de vérifier si l’instrument (a) : est toujours nécessaire, (b) : est efficace et (c) : doit être précisé. En réponse à la question (a) : si cet instrument n’était plus nécessaire, les statistiques le diraient. Les dernières statistiques 2003 concernant les 8 organisations actives dans le domaine des droits de recours montrent le tableau suivant: Statistique des organisations 2003 : réglé dans le sens du recours 107 cas sur 172 ou 63% (dont 58% réglés sans jugement), recours au tribunal 18 cas ou 10%, taux de succès des recours au tribunal 62% (succès partiel ou total). (...) En réponse à la question (b) relative à l’efficacité du droit de recours: l’étude genevoise CETEL (Flückiger Alexandre, Morand Charles-Albert, Tanquerel Thierry 2000, Evaluation du droit de recours des organisations de protection de l'environnement, OFEFP) relève que les alternatives au droit de recours, pour viser à la même efficacité, seraient nettement plus fastidieuses et coûteuses. En réponse à la question (c): le droit de recours peut-il être précisé? Des décisions du Tribunal fédéral relatives au droit de recours des organisations ont permis, par le passé, de donner des éclaircissements quant à des normes imprécises et à la marge d'interprétation. (...). L’examen juridique des décisions des autorités permet aussi d’éviter que l’équilibre fixé dans le Constitution entre le social, le culture, l’économique et l’écologique soit petit à petit biaisé dans un sens ou dans l’autre. Ce principe de contrôle et de balance garantit le respect des valeurs qualitatives et idéales, liées à la culture, et empêche l’installation d’un état de droit. Des améliorations sont nécessaires, mais pas des restrictions ! Dans certains domaines, une nette amélioration de la cohérence de la politique des zones s’impose et faciliterait sa mise en œuvre. Cela concerne la qualité des plans directeurs et des plans d’affectation, une partie de la loi sur l’aménagement du territoire et de la protection de l’environnement et la politique du logement et de l’énergie. Les procédures qui leurs sont liées ont connu quelques améliorations au niveau fédéral avec la loi de coordination de 2000, des problèmes subsistent en revanche au niveau cantonal. Déterminer des délais de traitement des oppositions, diminuer le nombre d’instances sollicitées et mieux doter les services en personnel pourraient être des pistes à suivre dans le cadre des collaborations intercantonales. Une standardisation du cahier des charges des études de l’impact sur l’environnement pour les demandes d’autorisation de même nature (par exemple centres commerciaux) ou en rapport avec des installations à forte fréquentation pourrait être discutée au sein de la conférence des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement (DTAP). (…) La Confédération devrait inviter rapidement les cantons à coordonner leurs procédures (la compétence fédérale repose en effet sur la loi sur la protection de l’environnement et sur la conception des installations sportives d’importance nationale CISIN). Finalement, un nouvel instrument comme l’évaluation environnementale stratégique (EES) prévue dans les lignes directrices de l’UE 2001/42/EG permettrait de combler l’absence de cohérence entre l’aménagement du territoire cantonal et communal, les objectifs de protection de l’environnement fixés dans la loi et la stratégie de développement durable. Et pour conclure, des thèmes tels que le road pricing (péages routiers) et la réforme fiscale écologique ne doivent plus être qualifiés d’utopiques. (…) Le droit de recours des organisations est source de conflit. Il intervient lorsque de puissants intérêts économiques viennent balayer des intérêts de protection de l’environnement. Ce nid de guêpes est de surcroît agressif. Aujourd’hui, les promoteurs estiment que tout ce qui est économiquement et techniquement faisable doit non seulement être réalisé, mais au plus vite. Ce n’est donc pas surprenant que la protection de l’environnement et les organisations de protection de l’environnement soient qualifiées de dérangeantes, mais cela est regrettable. La Suisse connaît aujourd’hui un nouveau boom de la construction. Les nouveaux projets de centres commerciaux répertoriés représentent à eux seuls 320'000 m2 et le trafic généré par ces constructions atteint plusieurs fois celui du Gothard. Ces projets uniques un Europe menacent non seulement la qualité de vie et de l’aménagement du territoire mais l’économie risque aussi de s’asphyxier. (…) Pour conclure nous tenons à rappeler que tant la FP que toutes les autres organisations nationales de protection de l’environnement ont toujours refusé tant des indemnités de compensation que ld'autres formes de rétribution qui ont pu leur être proposés. Raimund Rodewald, Dr. phil., directeur FP

 

Aqua Viva, Archäologie Schweiz, Ärztinnen und Ärzte für Umweltschutz, Alpen-Initiative, Equiterre, Greenpeace, Greina-Stiftung, Helvetia Nostra/Fondation Franz Weber, Mountain Wilderness, Naturfreunde Schweiz, Praktischer Umweltschutz Schweiz, Pro Natura, Rheinaubund, SAC-Schweizer Alpenclub, Schweizerische Energie-Stiftung, Schweizerischer Fischerei-Verband, Schweizerische Gesellschaft für Höhlenforschung, Schweizer Heimatschutz, Schweizer Wanderwege SAW, Stiftung Landschaftsschutz Schweiz, SVS/BirdLife Schweiz, VCS Schweiz, WWF.